Interview de G.

Professeur stagiaire d’histoire-géographie
Interview d’un professeur d’histoire-géographie
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Professeur stagiaire d’histoire-géographie au lycée, G. a accepté de se prêter au jeu de l’interview. 2 ans après l’assassinat de Samuel Paty, les enseignants français s’interrogent sur les conditions d’exercice de leur profession et sur les manières d’aborder certains sujets sensibles avec les élèves. Comment ce métier central au sein de la société est-il perçu par les jeunes profs d’aujourd’hui ? G. nous fait découvrir les coulisses de son métier de professeur d’histoire-géographie.

Bonjour G., peux-tu te présenter ?

J’ai eu mon concours de l’enseignement l’an dernier à la session de 2021, la dernière avant la réforme du concours. En 2021-2022, j’étais donc enseignant stagiaire en master 2 MEEF, c’est-à-dire que je partageais mon année entre les cours à l’université et les heures d’enseignement au lycée. J’enseigne dans un département et une académie déficitaire. Nous avons des cours à la fac le lundi et le mardi et je suis en service mercredi, jeudi et vendredi à raison de 3h de cours par jour.

Pourquoi avoir choisi de devenir professeur d’histoire-géographie ?

J’ai d’abord effectué un master à Lille en aménagement du territoire et urbanisme, mais le stage prévu ne m’a pas plu. Je voulais quand même garder ma discipline de cœur, la géographie, tout en continuant d’apprendre et transmettre ce que je sais. Prof était la meilleure alternative à mon sens.  À l’INSPE, les professeurs nous avaient dit que nous étions des « fonctionnaires de création » et pas « d’exécution ». Cette vision du métier d’enseignant m’a convaincu. Il est vrai que nous avons une certaine liberté pédagogique tout en devant respecter nos devoirs de fonctionnaires. J’aime ce côté création des cours et orientation des élèves. Je me vois comme un tremplin pour que les autres puissent trouver le métier qui leur convient.
À l’INSPE, les professeurs nous avaient dit que nous étions des « fonctionnaires de création » et pas « d’exécution ».

Au quotidien, qu’est-ce qui te plaît le plus dans l’exercice de ton métier ?

Le plus satisfaisant est sans doute quand on sent qu’une heure de cours est réussie, où il semble y avoir eu une bonne ambiance. C’est peut-être caricatural mais le rire d’un élève pendant une activité est une chouette récompense pour moi (rires). Quand un jeune ressort une référence vue en début d’année, ça fait plaisir. On se dit qu’on n’a pas fait tout ça pour rien. À titre personnel, je prends plaisir à poursuivre mon apprentissage. Le prof n’est expert de rien, il connaît un peu de tout et c’est exaltant. On est obligé de survoler les sujets, car les programmes sont extrêmement complets, surtout en histoire-géo et on ne peut donc pas approfondir. Je dois faire tous les éléments attendus par le programme officiel mais j’ai la liberté pédagogique de l’utilisation des supports et de la gestion du temps.

Qu’est-ce qui te plaît le moins ?

Ce qui me plaît le moins c’est le tournant très administratif que prend l’Éducation nationale aujourd’hui. On demande au prof de tout anticiper et de s’adapter sans arrêt. Il a toutes les casquettes et est livré à lui-même. Mais finalement, les jours ne se ressemblent jamais.
Un enseignant multitâche
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Te trouves-tu bien préparé par ta formation ?

En réalité, le discours de la faculté est très paradoxal. Les formateurs nous disent que nous sommes libres de gérer nos classes comme nous l’entendons, libres de choisir nos méthodes pédagogiques et en même temps nous sommes formés de manière très rigide. Il y a une grande différence entre la théorie et la réalité du terrain.

Te sens-tu soutenu par les autres enseignants et par la direction ?

Personnellement, j’ai la chance d’être bien soutenu par la hiérarchie. L’équipe d’histoire-géo m’a très bien accueilli et mon tuteur professionnel est très à l’écoute. Malheureusement il y a des établissements où les enseignants ne se sentent pas épaulés et cela se ressent à l’échelle nationale. En France, et surtout en début de carrière, les jeunes profs peuvent se retrouver dans des zones très difficiles où il peut même être dangereux d’exercer. C’est un métier très solitaire où il faut s’endurcir. Il est aussi nécessaire de se dissocier des problèmes personnels des élèves, même si on joue un rôle social.
C’est un métier très solitaire où il faut s’endurcir.

Comment t’y prends-tu pour réaliser un cours de A à Z ?

Lors de la conception d’un cours, il faut essayer de créer des liens logiques dans la tête des élèves, car l’enseignant fait la bascule entre le monde scientifique et le monde pédagogique. En histoire-géo, surtout au collège, on reste sur le système du plan classique : I-A/B, II-A/B etc. Personnellement, je commence toujours par me renseigner sur le sujet, car je ne sais pas tout avant de commencer un cours. La formation universitaire ne me sert pas à avoir des connaissances absolues sur tous les thèmes mais à acquérir la technique pour obtenir les savoirs rapidement. Même les profs ayant 20 ans de carrière doivent se remettre à niveau scientifiquement car la recherche avance. Ça fait aussi partie du rôle du prof de se tenir au courant.

Les manuels, conçus par des profs pour des profs, sont une bonne base de travail. Certains établissements s’équipent avec leurs propres manuels alors que d’autres n’en souhaitent pas. Tout dépend de la politique de l’établissement. J’utilise le manuel pour prendre connaissance de la structure du sujet afin de construire un plan.

Pour ouvrir un nouveau chapitre avec les élèves, il y a plusieurs méthodes. On peut très bien démarrer avec une vidéo, une image ou une frise chronologique. Personnellement, je pars du titre et je demande aux élèves d’en expliquer les termes principaux. La réflexion est lancée et aboutit à une explication logique que toute la classe comprend.

Quels sont les références et les supports pédagogiques que tu utilises pendant tes cours ?

On peut parfois se permettre quelques originalités pédagogiques éducatives. Par exemple, le jeu vidéo Assassin‘s Creed est très apprécié des profs histoire-géo, car la compagnie française Ubisoft travaille avec les historiens. Je me suis appuyé sur la jaquette d’Assassin’s Creed Odyssée, volet du jeu qui se passe en Grèce Antique, pour amorcer un cours sur les empreintes grecques et romaines.

Même si la plupart du temps je dois aller au plus simple, il m’est quand même arrivé de prendre le temps de naviguer sur Google Earth pendant un cours de géographie. Les élèves apprécient ces méthodes pédagogiques immersives et aiment manipuler eux-mêmes.
Supports pédagogiques
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Pour parler des œuvres typiques de la Renaissance Italienne, j’ai fait travailler les élèves en autonomie sur une reproduction du plafond de la chapelle Sixtine. Pour clore la séance, je suis allé sur le site internet du Musée du Vatican qui propose une visite interactive.

Il est aussi pertinent de travailler la vidéo et d’isoler des séquences de films pour évoquer un sujet. Il ne faut pas hésiter à recommander des références aux élèves comme les capsules vidéo d’Arte « Quand l’histoire fait date » par exemple. Pour présenter le fantasme de l’or des conquistadores et la figure d’Hernán Cortés, j’ai passé le générique du film d’animation La Route d’Eldorado.

Après l’affaire Samuel Paty, est-il devenu plus difficile d’aborder les sujets sensibles avec les élèves ? As-tu peur d’exercer ton métier ?

Les réactions immédiates et parfois excessives des élèves s’observent non seulement en éducation civique mais aussi en histoire-géographie. Quand on aborde en cours les thématiques des croisades et du djihad, certains jeunes réagissent comme des supporters de matchs de foot. Mais tout dépend des établissements et de leur situation géographique. Il y a des territoires où les lois religieuses semblent passer avant celles de la République. Personnellement je n’ai pas peur. J’ai fait l’hommage à Samuel Paty et j’ai projeté les caricatures de Mahomet au tableau. Je le fais et le risque parce que c’est mon métier. Certains profs ne se sentent pas en sécurité dans certaines zones et occultent volontairement certains sujets. On ne peut pas leur en vouloir.
Personnellement je n’ai pas peur. J’ai fait l’hommage à Samuel Paty et j’ai projeté les caricatures de Mahomet au tableau.

Des conseils aux jeunes qui souhaitent se lancer dans cette carrière ?

Je compare ce métier à l’engagement des militaires dans l’armée. On est fonctionnaire de la République, on doit obéir à certaines règles tout en ayant une conscience professionnelle, mais cela reste un véritable engagementAimer la discipline ne suffit pas. J’ai des collègues qui arrêtent l’an prochain, déjà à bout. Des désillusions sont possibles car il n’est pas seulement question de savoir, il faut aussi être pédagogue et transmettre. C’est un métier qui peut être très beau aussi. Nous sommes des personnalités publiques à l’échelle de notre établissement. Nous avons un rôle important au sein de la société.
Merci G. pour cet entretien très intéressant et inspirant pour les futurs jeunes enseignants.
Par Ariane Guizard

Publié le 20/04/2022